YVES CONSTANTINIDIS CONSULTANT

Est-il vrai que plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue ?

Il y a moins d’une semaine, Jérôme Barthélemy, professeur de stratégie et management à l’ESSEC publie dans une tribune du Monde un article intitulé « Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue ».

Ayant travaillé une quinzaine d’années comme consultant, et une autre quinzaine d’années comme directeur de projets dans une agence de l’État au service des établissements de santé, je me permets de réagir et d’apporter ma propre vision des choses.

Car il s’agit bien d’opinions. Et d’après moi, l’article de Barthélemy souffre de trois biais :

  • La confusion entre cas particuliers et cas général,
  • La confusion entre corrélation et causalité,
  • La confusion entre « consultant » et « cabinet de conseil ».

La confusion entre le particulier et le général

Il y a du vrai dans cet article du Monde. Les méthodes agressives de certains cabinets de conseil, les consultants qui s’installent chez le client à perpétuité et y déploient leurs méthodes à longueur d’année, les dépenses en prestations de conseil au détriment de projets concrets, tout cela fait malheureusement partie du paysage. J’en ai moi-même fait les frais, soit comme consultant indépendant, soit comme salarié d’un petit cabinet, soit en tant que client de prestations de conseil.

Le recours à du conseil est une véritable drogue, qui pousse les manageurs à en acheter de plus en plus ; plusieurs cabinets de conseil pratiquent des méthodes de vente « agressives » ; on peut dire que certains cabinets de conseil pratiquent des méthodes de voyous. Tout cela est trop souvent vrai. Mais dans quelle mesure peut-on généraliser ?

L’article dénonce également « une mauvaise connaissance du fonctionnement des hôpitaux ». C’est encore une généralisation. En quoi consisterait cette connaissance ? J’ai côtoyé pas mal d’experts du monde hospitalier, des personnes avec dix, vingt ou trente ans de pratique en tant que médecin, soignant, directeur d’hôpital. Il est rare qu’ils mettent en avant leur « bonne connaissance du fonctionnement des hôpitaux ». Ce milieu professionnel est d’une telle complexité que la « bonne connaissance » est toute relative. Alors j’aimerais savoir ce qu’est une « bonne connaissance ».

De plus, lorsqu’un hôpital fait appel à un consultant, ce n’est pas toujours uniquement pour sa connaissance approfondie du milieu hospitalier. C’est aussi, très souvent, parce que le consultant est capable de porter un regard neuf sur les processus métier de son client, et de transposer à l’hôpital des méthodes qui ont fait leurs preuves dans d’autres domaines.

La confusion entre cause et conséquence

L’auteur nous rapporte « qu’il existe une relation entre les dépenses de conseil et l’efficience des hôpitaux. Le problème est que cette relation est négative ». Autrement dit « Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue ».

L’erreur de raisonnement qui consiste à confondre la cause et la conséquence est malheureusement très répandue. L’auteur est-il en train de tomber dans ce piège ? L’article n’apporte aucune précision permettant de suspecter le moindre lien de causalité entre dépenses en prestation de conseil et diminution de l’efficience.

D’ailleurs, qu’entend l’auteur par « efficience » et « performance » ? Ayant travaillé pendant quinze ans dans une agence dont la vocation est l’appui à performance des établissements de santé, j’aimerais avoir une définition plus précises des termes employés.

La confusion entre consultant et cabinet de conseil

Les journalistes utilisent souvent le mot « consultant » pour parler d’un cabinet de conseil. Cet amalgame m’est particulièrement désagréable à lire. Un consultant, c’est une personne. Un cabinet de conseil est une entreprise. Ce peut être une grande, une très grande entreprise. Une grosse multinationale du conseil. En entretenant la confusion entre une entreprise et un individu qui y travaille, on peut justifier n’importe quoi.

Par exemple, à propos des fonctionnaires, l’auteur évoque « Cette volonté de ne pas être en reste » qui « les pousse à se jeter à corps perdu dans les bras des consultants ». Vraiment ? En tant que consultant, je n’ai jamais vu un seul fonctionnaire se jeter à corps perdu dans mes bras, mais c’est peut-être moi qui manque de chance ! Ceci dit, en discutant du sujet avec mes confrères consultants, non, aucun d’entre eux n’a eu la chance de voir un fonctionnaire se jeter à corps perdu dans ses bras !

Maintenant, remplacez « consultant » par « grand cabinet de conseil » et la phrase sonnera plus juste. Parce que, là, c’est du vécu pour beaucoup de monde. Du moins au sens figuré de l’expression « se jeter dans les bras à corps perdu », n’est-ce pas ?

J’ai vu des grands cabinets de conseil pratiquer des « méthodes de vente agressives », je n’ai jamais vu de consultants le faire à titre individuel. Pour un consultant, vendre du conseil c’est surtout être capable de démontrer son savoir faire, de démontrer à son client qu’il va lui faire gagner, ou économiser, beaucoup plus que les honoraires qu’il va lui facturer.

Ma propre opinion

L’auteur rapporte que « les coûts induits par les prestations de conseil réduiraient [remarquez le conditionnel] la capacité des hôpitaux à investir dans leurs propres compétences ». Toute prestation de conseil implique une prise de risque, à la fois pour le consultant et le client, et demande réflexion de part et d’autre. Si vous pensez qu’une prestation de conseil vous coûtera plus cher que ce qu’elle vous rapportera, alors ne la prenez pas.

Personnellement, si j’interviens chez un client, c’est que j’espère lui faire gagner, ou économiser, dix fois ce que je lui aurai coûté. Il n’y a bien sûr aucune certitude dans cela, car il n’y a jamais de certitude dans le conseil, que l’on soit médecin, avocat ou conseiller matrimonial. Mais c’est l’objectif que je me fixe par principe. Si je vends une prestation, c’est pour que mon client en retire un (gros) bénéfice.

Notons au passage que l’étude à laquelle se réfère l’auteur n’est pas une étude « à venir ». Elle date de décembre 2020 et peut être librement téléchargée sur le site de la revue Public Administration. Alors, si vous avez le courage, vous pouvez la lire.

J’attends vos réactions et … ne venez pas tous vous jeter à corps perdu dans mes bras !

© Yves Constantinidis Consultant, 2022

3 commentaires pour “Est-il vrai que plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue ?”

  • Leondaridis Paul

    dit :

    Les métiers de professeur et celui de consultant sont assez proches. Tous deux prodiguent des conseils. Le professeur est moins exposé que le consultant car il est dans le général alors que le consultant dans le cas pratique. Cette opposition ne s’applique pas aux professeurs qui publient des ouvrages. Il est facile de rédiger une tribune surtout lorsque les arguments ne sont pas documentés par des preuves tangibles et avérés.

  • imane

    dit :

    Bonjour,

    Je me permets de réagir. A noter que je ne suis pas dans le domaine hospitalier mais je pense qu’il y a des similitudes importantes ce qui explique ce retour.
    Je trouve intéressant que vous défendiez votre intérêt et je ne peux que partager certains points que vous exposez, mais…

    Vous exposez là un point de vu « sain » de ce qu’est le consulting. Ce pourquoi il a été créé (à savoir venir, à un instant T, apporter une compétence qui n’existe pas ou pas complètement dans une entreprise/hopital pour l’aider à se développer/se diversifier, etc.). La finalité étant, un gain de temps, un passage de flambeau préparé et optimisé, etc.
    Mais comme dans tous les domaines, des abus sont constatés.

    Des abus par les cabinets de conseils, parce qu’il faut « rentabiliser ».

    Des abus des entreprises (ici hopitaux) parce que c’est rassurant…
    Rassurant de donner à un acteur externe des projets « trop compliqués » parce que c’est nouveau, rassurant de se dire qui si cela se passe mal, le choix de stopper la prestation vaut mieux, rassurant également de se dire qu’il existe un levier à l’heure ou les frais sont chaque jour un peu plus challenger…

    Les effets pervers, comme vous le dites, ce sont des cabinets qui s’installent dans la durée (avec le danger d’un sortie inattendue de la compétence et donc de la perte de connaissance), des « juniors » facturés un prix exorbitants, mais surtout une mauvaise approche des sujets (surement parce que la cartographie initiale n’a pas été transmise) et donc des ratés, des trous dans la raquettes énorme et donc des dépassements.

    En conclusion, ce que vous décrivez et défendez est l’idéal.
    Mais les cabinets de conseil font du placement avant tout.
    Evidemment, je partage avec vous qu’il existe de très bon cabinet, qui cherchent des « pépites » pour accompagner les clients, qui cherchent des missions « porteuses » pour ne pas frustrer et l’entreprise/hopital, et son consultant (lui aussi a le droit d’avoir une belle mission et des perspectives de diversités puisqu’après tout, un consultant cherche pour la majorité à pouvoir avoir de belles expériences).
    Je vous rassure, j’en connais et ai un grand plaisir à travailler avec eux lorsque l’occasion m’est donnée car je sais qu’il y aura une réciprocité d’intérêt…

    En tout cas, merci pour votre article, bravo pour la défense de vos idées et belle continuation à vous.

    • Yves Constantinidis

      dit :

      Depuis bientôt trente ans, je côtoie les cabinets de conseil alternativement comme employeurs, clients, fournisseurs, et concurrents. Comme c’est souvent le cas, j’ai été leur sous-traitant et ai leur moi-même sous-traité. Autant dire que je connais le milieu. Je sais qu’il y a des abus, comme il y a des abus de la part des entreprises de plomberie, de serrurerie ou chirurgie dentaire. En généralisant, en écrivant « consultants » en lieu et place de « cabinets de conseil » et en s’appuyant sur un biais cognitif, Monsieur Barthélémy semble vouloir démontrer que « Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue ».
      Imaginez que j’écrive un article analogue sur les entreprises de plomberie ou de chirurgie dentaire, avec un titre comme « Plus un individu fait appel à des dentistes, plus ses dents se détériorent » ou « Plus un automobiliste fait appel à des garagistes, plus sa voiture va mal ». Ne diriez-vous pas que je généralise ? Que je confonds l’entreprise avec la personne qui y travaille ? Et qu’il est possible que je sois en train de confondre la cause et l’effet ?

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