Si vous écrivez des spécifications en français (ou en anglais, allemand, italien, grec), je vous offre un truc pour les améliorer : tuez les adverbes !
Avez-vous besoin d’explications ? En voici …
Les adverbes sont à la littérature ce que la noix de muscade est à la cuisine. Une pincée renforce le goût des aliments. Une cuillerée à café provoque convulsions et hallucinations. Une cuillerée à soupe est mortelle pour 50% d’entre-nous.
En littérature, chacun ses goûts. Pour les spécifications fonctionnelles ou techniques, c’est une autre histoire. Ce n’est pas une question de goût, mais d’efficience.
Dans un cahier des charges, la dose maximale admissible est : zéro. C’est mon opinion et je vais la défendre.
À l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, j’enseigne l’ingénierie des exigences. Une consigne pour les exercices de spécification d’exigences est : pas d’adverbe. Une sanction est prévue. Pour le premier exercice, je suis tolérant. J’entoure les adverbes en rouge. Les étudiants prennent conscience de la difficulté détecter les adverbes, et à les éliminer. À partir du deuxième devoir, tolérance zéro. Le barème est :
1 adverbe = 1 point en moins.
À ceux qui se demandent la raison de mon intransigeance, je dois des explications. Les voici …
1. L’information apportée par un adverbe est : zéro
À mes étudiants de master, je pose les questions suivantes :
Pouvez-vous me dire précisément ce que vous entendez par « précisément » ?
Qu’entendez-vous exactement par « exactement » ?
Habituellement, quel est le sens que vous attribuez à « habituellement » ?
La précision, l’exactitude et la fréquence doivent être mesurables. Ces adverbes donnent une illusion de précision, alors qu’ils n’en apportent pas. Les adverbes n’apportent pas d’information. Ceci contrevient au principe de concision. Tuez les adverbes !
2. Les adverbes sont une source d’ambiguïté
Prenons un exemple tiré d’un cahier des charges (c’est un cas réel) :
Le système offre la possibilité d’attribuer ou de réattribuer un numéro à un patient, indépendamment des passages.
Que signifie l’adverbe ? Que l’on doit pouvoir attribuer un numéro différent au patient, à chaque passage ? Ou bien que l’on doit pouvoir attribuer le même numéro au patient, à chaque passage ? Est-ce le numéro qui est indépendant des passages, ou bien la possibilité de l’attribuer ?
Mon conseil : Tuez l’adverbe !
En voici une autre, tirée d’un cahier des charges pour le système d’information hospitalier, et qui concerne la prescription de produits sanguins labiles (PSL) :
Ces prescriptions de PSL pourront être réalisées indépendamment l’une de l’autre.
Comment interprétez-vous l’adverbe ? Cette interprétation sera-t-elle la même pour un autre lecteur ?
Mon conseil : Tuez l’adverbe !
3. Les adverbes sont le cache-misère du discours ambigu
Je ne suis pas sûr de ce que j’ai compris. Je mets un adverbe qui servira de rustine. Solution facile et mortelle, à la fois pour le belle littérature (c’est mon opinion et elle est subjective) et pour les spécifications d’exigences (et là il n’y a rien de subjectif).
La « désadverbisation » est un exercice fastidieux et ingrat. Une fois que l’on a repéré l’adverbe, il ne suffit pas de le supprimer. Il va falloir découvrir par quoi on va le remplacer. Ce qui implique d’aller se replonger dans les textes ou d’interviewer à nouveau des experts et élucider leur interprétation de l’exigence, avant de pouvoir la respécifier.
Exercice fastidieux, exercice utile, exercice payant : rappelons qu’une ambiguïté de spécification coûte cent fois moins cher à éliminer d’un cahier des charges que d’un logiciel en production ! Cela vaut la peine d’investir dans une machine à tuer les adverbes !
© Yves Constantinidis Consultant, 2022
P.S. Avez-vous remarqué le style sec de cet article ? Si oui, je vous donne une explication : à l’exception des mots en bleu, j’ai éliminé les adverbes ! Comme la muscade, une faible dose de ces mots toxiques peut apporter de la saveur. Promis, dans mon prochain article, j’ajouterai quelques pincées de muscade !
Becquereau Christian
dit :Depuis 2010 oû j’ai découvert le livre de Stephen King « écriture, mémoires d’un métier » comme lui dans mes relectures je traque les adverbes. Dans mon livre qui vient paraître je consacre un chapitre à l’écriture et aux caractéristiques de chaque personnalité PCM.
J’ai un critère qui m’aide à décider. Quand l’adverbe est plus utile à moi qu’au lecteur, je le vire. C’est du sois parfait enfant : peu d’intérêt.
Isabelle Hoareau
dit :Merci beaucoup pour ce judicieux conseil !