YVES CONSTANTINIDIS CONSULTANT

Les exigences dans les roses de Provins

J’allais écrire que les exigences sont dans les choux, mais la photo d’une rose de Provins, c’est tellement plus beau !

Exprimer les besoins est un art. Faciliter cette expression de besoins, ou animer les groupes de travail d’expression des besoins et élaborer un cahier des charges, ça s’apprend. Il y a des livres, des séminaires, des formations. Ça s’enseigne dans les meilleures universités. Il y a des certifications de business analyst, il y a des centaines de livres et des centaines de milliers de pages sur le sujet. J’ai moi-même écrit un livre, il en est à sa quatrième édition.

C’est même un métier. Moi, ça me paraissait évident. Plus j’explore le sujet, plus je l’expérimente, plus j’écris sur le sujet, plus je l’enseigne, et plus il me semble évident que l’ingénierie des besoins est un métier.

Apparemment, ce n’est pas évident pour tout le monde. Un jour, un de mes collègues m’a dit ironiquement : « Ton livre ne sert à rien. Tout le monde sait faire un cahier des charges ».

J’ai réfléchi, et j’ai dû admettre qu’il avait raison. Non pas sur l’utilité de mon livre. Mais sur le fait que tout le monde sait faire un cahier des charges, il avait bien raison.

Vous savez sans doute faire une tarte aux pommes, réparer un robinet, faire un pansement. Pour autant, est-ce que vous pouvez vous prétendre pâtissier, plombier ou infirmier ? il en est de même avec l’expression des besoins. Tout le monde, ou presque, sait rédiger des exigences utilisateur. Mais élaborer un cahier des charges clair, correct, concis, complet et cohérent, c’est un métier.

Un bon cahier des charges est un document facile à lire, facile à comprendre, établi sur la base d’un consensus. Dans certains cas, il peut être très complexe, mais il n’est jamais « compliqué » : il est relativement facile à maintenir et à modifier.

Alors, oui, vous pouvez développer selon une démarche agile. Vous n’aurez pas de cahier des charges à rédiger, mais vous devrez quand même exprimer des besoins, et pas n’importe comment.

En général, on sait ce que coûte l’expression des besoins, d’autant plus que cette phase du projet est souvent sous-traitée. Mais on est rarement conscient de l’importance de cette phase, et beaucoup en sous-estiment les conséquences. Plutôt qu’un long discours, voici quelques chiffres :

Environ les trois quarts des erreurs dans le choix, la mise en œuvre et la construction d’un logiciel sont dues à des exigences mal formulées.

Ce constat, statistiquement démontré, est apparemment contre-intuitif, puisque nombre de donneurs d’ordres n’investissent pas suffisamment de temps et d’argent dans cette phase, pensant sans doute que c’est du temps et de l’argent perdu, et qu’on pourra toujours corriger le tir et rattraper les petites erreurs par la suite. Or, corriger le tir coûte largement plus cher que de viser juste du premier coup.

En effet, le coût de la correction d’une erreur produite lors de la phase d’exigences est en moyenne cent fois plus important lorsque cette erreur est découverte en phase d’exploitation qu’en phase d’exigences.

Spécifier correctement les besoins est donc un investissement très rentable. Il peut rapporter plus de cent fois ce qu’il aura coûté. Et c’est sans tenir compte du coût des conséquences de ces erreurs. Elles peuvent être dramatiques.

Maintenant, vous êtes sans doute en train de vous dire que Constantinidis sort de vieilles statistiques de ses vieux bouquins, qu’aujourd’hui les choses ont bien évolué, et que grâce aux méthodes agiles on fait du logiciel de qualité à la vitesse du TGV …

Tiens, en parlant de TGV, avez-vous essayé la nouvelle application de la SNCF ?

Et puisqu’on parle de roses de Provins, l’autre jour je suis-je suis allé sur le site sncf-connect.com pour acheter un aller simple entre Paris et Provins. Essayez vous-même, et vous me direz ce que vous pensez de leur nouvelle appli.

Les journalistes parlent du « bug » de l’application SNCF. Les journalistes ne savent pas ce qu’est un bug. C’est un très vieux mot d’argot informatique qui suppose une bébête imaginaire qui viendrait se coincer dans les circuits imprimés pour déclencher des pannes. Par extension, on appelle bug, ou bogue, une erreur de programmation. Mais l’utilisateur voit rarement les bogues. Le plus souvent, il voit des défauts de conception, et plus souvent encore, une expression des besoins défaillante.

C’est le cas de l’application de la SNCF. Elle vous indique à la minute près comment aller de porte à porte entre le centre de Paris et le centre de Provins, trajets en métro, train et bus compris. C’est magnifique, mais ce n’est pas ce que j’ai demandé. J’ai demandé un billet de train Paris-Provins, et la SNCF m’envoie dans les choux … Non, dans les roses de Provins, c’est tellement plus beau !

©Yves Constantinidis, 2022

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