YVES CONSTANTINIDIS CONSULTANT

La checklist : humble, simple, puissante

Le petit livre de la check-list, de Atul Gawande, intéressera à la fois les hospitaliers, les qualiticiens et les méthodologues. Écrit par un chirurgien américain, il est raconté comme une suite de récits. Très américain dans sa forme, il l’est aussi dans son contenu, en montrant l’utilité pratique des événements qu’il décrit.

Face à des technologies à la complexité sans cesse croissante, où les professionnels les plus expérimentés sont dépassés par les processus qu’ils appliquent, ni une longue formation ni une longue expérience ne semblent empêcher les erreurs graves. Face à ce défi, et à la demande de l’Organisation Mondiale de la Santé, Atul Gawande trouve des pistes de solution dans une technique on ne peut plus simple : la check-list. Largement utilisées dans l’aviation, les check-lists ont permis aux pilotes de maîtriser des appareils de plus en plus complexes. Aujourd’hui, des checklists sont utilisées dans les hôpitaux du monde entier, aidant les médecins et les infirmiers à faire face à des situations délicates et urgentes. Dans les blocs opératoires, l’application d’une simple checklist a permis de réduire le taux de mortalité de plus de 30 %.

La checklist en établissement de santé

Gawande commence son récit en Autriche, où une checklist d’urgence a sauvé une personne qui avait passé une demi-heure sous l’eau, puis au Michigan, où une checklist de nettoyage dans les unités de soins intensifs a quasiment éliminé un type d’infection nosocomiale potentiellement mortelle. Il explique comment les checklists fonctionnent dans la vraie vie pour améliorer de manière impressionnante l’efficience des processus.

Voici un court extrait de son ouvrage …

« Car voyez-vous, les tableaux, les listes de contrôle, c’est du domaine des soins infirmiers — du domaine rébarbatif. Les médecins, avec leurs années supplémentaires de formation et de spécialisation, n’en ont pas besoin et ne les utilisent pas.

En 2001, cependant, un spécialiste des soins intensifs à l’hôpital Johns Hopkins, Peter Pronovost, décida d’essayer la check-list auprès des médecins. Il ne tenta pas de faire en sorte qu’elle englobe tout ce que les équipes de soins intensifs pourraient avoir à faire en une journée mais la conçut pour s’attaquer à une seule de leurs centaines de tâches potentielles […] : les infections des cathéters centraux.

Sur une feuille de papier ordinaire, il rédigea les étapes à suivre pour éviter les infections lors de la pose d’un cathéter central. Les médecins étaient censés : 1) se laver les mains au savon, 2) nettoyer la peau du patient avec un antiseptique à base de chlorhexidine, 3) poser des champs stériles sur tout le patient, 4) porter un masque, un chapeau, une blouse stérile et des gants, et 5) mettre un pansement stérile sur le site d’insertion une fois le cathéter en place. Vérifier, vérifier, vérifier, vérifier et encore vérifier. Ces étapes sont évidentes ; elles sont connues et enseignées depuis des décennies. Il semblait donc absurde d’établir une check-list pour quelque chose d’aussi manifeste. Pourtant, le Dr Pronovost a demandé aux infirmières de son unité de soins intensifs d’observer les médecins pendant un mois lorsqu’ils posaient des cathéters aux patients et de noter la fréquence à laquelle ils effectuaient chaque étape. Résultat : pour plus d’un tiers des patients, les médecins avaient sauté au moins une étape.

Le mois suivant, lui et son équipe persuadèrent l’administration de l’hôpital Johns Hopkins d’autoriser les infirmières à stopper les médecins si elles les voyaient oublier une étape de la check-list. […]

Pendant un an, Pronovost et ses collègues suivirent de près l’évolution de la situation. Les résultats furent si spectaculaires qu’ils ne surent pas s’ils devaient les croire : les taux d’infection des cathéters au bout de dix Jours étaient passés de 11 % à zéro. Ils décidèrent alors de suivre les résultats pendant quinze mois supplémentaires. Au cours de cette période, seulement deux infections de cathéter s’étaient produites. Ils calculèrent que, dans ce seul hôpital, la check-list avait permis d’éviter quarante-trois infections et huit décès, et d’économiser deux millions de dollars. »

La checklist en ingénierie du logiciel

La checklist est largement utilisée en ingénierie du logiciel. J’ai fait une recherche dans mon propre référentiel méthodologique. Le mot checklist (ou check-list) apparaît dans 150 fichiers sur un total 1500 fichiers, soit 10 %. La dernière édition de mon propre ouvrage, Expression des besoins pour le SI, contient 9 checklists, soit une toutes les 38 pages. Le modèle de cahier des charges que j’ai élaboré et que j’applique systématiquement est lui-même une forme de checklist.

Pour être utile, une checklist doit être simple, claire, brève, facile à lire et facile à appliquer. Et comme tous les documents clairs et faciles à lire, leur élaboration est loin d’être simple et facile. L’élaboration d’une checklist efficace demande quelques heures ou quelques jours de travail. Quant à son déploiement, c’est un véritable projet qui peut durer des mois.

Élaborer une checklist efficace

À mon avis, le champion toutes catégories de la checklist est Daniel L. Stufflebeam (1936-2017). En 2000, il a publié un article de 10 pages intitulé Lignes directrices pour le développement de checklists d’évaluation : la checklist de développement de checklists (CDC). Ce bref article n’est pas d’une lecture aussi fluide que celle de l’ouvrage d’Atul Gawande, mais il est pertinent et utile. Si vous n’arrivez pas à le retrouver sur internet, n’hésitez pas à me laisser un message pour que je vous l’envoie.

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