YVES CONSTANTINIDIS CONSULTANT

Mais qu’est-ce que la créativité ?

Bonne question, voyons déjà ce qu’elle n’est pas …

Il faut le dire, l’ouvrage THINKERTOYS de Michael Michalko est bien packagé. La couverture de ce gros livre (400 pages, 650 grammes) sur la créativité fait indubitablement preuve de créativité. On a envie de l’ouvrir, de le lire, de l’avoir sur sa table de travail, comme une bible de la créativité. La mise en page, en noir et bleu, est également très agréable. Il faut se plonger dans les détails pour s’apercevoir que la première édition date de 1991 et reprend des techniques de créativité qui étaient déjà vieilles d’un demi-siècle.

J’ai lu le chapitre d’introduction, feuilleté l’ensemble, parcouru des parties de chapitre, et j’ai très vite déchanté. On y trouve exactement ce qui est écrit sur la couverture : des techniques. Pas une théorie de la créativité, qui serait passionnante. Pas non plus une approche, une méthode générale qui permettrait d’adapter ces techniques à une problématique précise. Non, des techniques que beaucoup connaissent, mille fois répétées depuis cinquante ans. Et le plus décevant, c’est que, pour chacune de ces techniques, ce livre raconte une histoire plutôt que de fournir une démarche. Michalko nous montre comment MacDo a réussi à vendre plus de hamburgers et comment IKEA a réussi à faire venir ses clients dans ses magasins trois fois de suite, mais n’analyse pas comment vous et moi pouvons faire.

Ce livre peut donc être utile à ceux qui recherchent un catalogue de techniques. Une sorte de « book of knowledge », de corpus des connaissances en techniques de créativité. Mais pour quelles applications pratiques ? Pour qui ?

Le livre consacre presque 40 pages à la méthode SCAMPER. Pour ceux qui ne la connaissent pas, l’acronyme SCAMPER (en français : Substituer, Combiner, Adapter, Modifier et Magnifier, Produire, Éliminer, Renverser et Réorganiser) a été inventé en 1971 à partir d’une technique mise au point en 1953 par Alex Osborn (l’inventeur du Brainstorming). Les vieilles techniques sont parfois les plus efficaces, mais malheureusement, apprendre comment MacDo s’en est servi pour vendre plus de frites (en substituant, combinant, adaptant …) ne vous rendra pas plus créatif et ne vous apprendra pas comment vendre du logiciel, ou du test logiciel, ou du conseil en ingénierie … (j’aimerais bien vendre des journées de conseil comme des cornets de frites, mais non, ça ne marche pas).

Cent pages plus loin, on trouve sept pages sur les techniques de relaxation : fermez les yeux et répétez le mantra « OM » (sic.) censées activer la créativité qui est en vous. La relaxation, c’est très utile. La relaxation peut favoriser la créativité. Mais les balades en montagne aussi, de même qu’un bon café sur la plage, alors pourquoi pas la recette du cappuccino glacé tant qu’on y est ?

Tout ce qu’on peut dire, c’est que cette liste hétéroclite de techniques de créativité manque cruellement de créativité sur le plan pédagogique. Autant la mise en page est moderne et agréable, autant la structure du livre est rébarbative à souhait.

Cela dit, si comme la plupart de nos contemporains vous utilisez le mot « brainstorming » sans jamais avoir appris ce que c’est, vous trouverez la description précise de cette technique en lisant les pages 311 à 322. C’est déjà ça. On n’a pas la recette du vrai cappuccino glacé, mais on a la recette originale du brainstorming d’Alex Osborn.

Parlons-en, du brainstorming !

Pour la petite histoire, rappelons que le brainstorming a été inventé par et pour les militaires, et que storming n’a pas grand-chose à voir avec la tempête. Storming est le gérondif du verbe to storm qui signifie « prendre d’assaut ». Pour résoudre un problème, il est plus efficace de le prendre d’assaut mentalement que de le « tempêter ».

Inventé par Alex Osborn (oui, toujours lui) dans les années 40 et usé jusqu’à la corde par les consultants, les coach, et autres gourous, « démocratisé » par tous les managers en manque d’idées nouvelles, le brainstorming a toujours des inconditionnels, voire des fanatiques. Surtout dans ses variantes ludiques et allégées : on saute allègrement quelques étapes de la méthode, et voilà un agréable moment de détente aux frais de la boite. C’est peut-être utile pour la cohésion d’équipe (faut voir). Ludique, sans doute, créatif, j’en doute.

Par ailleurs, le sous-titre français du livre est éloquent : 30 jeux pour dégourdir l’esprit. D’accord, on est dans le jeu ! On est dans le ludique, le divertissement. Je n’ai rien contre le jeu, je l’utilise pour former des étudiants et animer des groupes. Je ne vois pas d’inconvénient à se dégourdir l’esprit de temps en temps, c’est même indispensable (comme les balades en montagne et le cappuccino glacé sur la plage). Mais jouer et résoudre des problèmes, ce sont deux choses différentes.

Alors, de quelle créativité parle-t-on ?

Si vous souhaitez comprendre la psychologie de la créativité, le mieux est de lire les ouvrages de Mihály Csíkszentmihályi, le psychologue américain d’origine hongroise qui a examiné la créativité de près. Ces ouvrages sont passionnants :

Vivre, La psychologie du bonheur, Robert Laffont, 2004

Mieux vivre, En maîtrisant votre énergie psychique, Robert Laffont, 2005.

La créativité, Psychologie de la découverte et de l’invention, Robert Laffont, 2006.

Si vous souhaitez mettre la créativité en pratique, dans votre métier au quotidien, dans le monde de l’entreprise, lisez plutôt L’intelligence créative au-delà du brainstorming, de Jean-Louis Swiners et Jean-Michel Briet. C’est à mon avis un des meilleurs livres sur le sujet.

Qu’on me permette de les citer les auteurs :

Les créativités littéraire, artistique et scientifique sont une chose. La créativité opérationnelle en est une autre et il y a peu de ponts, sinon aucun, entre les deux.

Voilà qui est dit ! Selon les auteurs, il y a deux formes de créativité, l’opérationnelle, celle du manager devant un problème ou du général face à une situation difficile ; et l’artistique, celle de Pablo Picasso, Benjamin Britten et Henry Moore. Et ce ne sont pas les mêmes.

Je ne sais pas si les ponts entre créativité artistique et créativité opérationnelle sont si ténus que ça. Certes, sur un champ de bataille, un commandant qui utilise sa créativité opérationnelle (lisez Sun Tzu) ou un chef d’entreprise (relisez Sun Tzu) n’ont rien d’un artiste. Mais au niveau de la personnalité de ces personnes, la question reste ouverte. J’attends les commentaires des psychologues.

Quoi qu’il en soit, dans leur ouvrage, Swiners et Briet nous donnent des outils pratiques de résolution de problèmes. Une démarche organisée et systématique, en sept étapes. Une bonne lecture pour les vacances !

© Yves Constantinidis Consultant, 2022

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